Nouvelles du front
Et pendant ce temps là, la guerre, la Grande, la Der des Ders, continue !
Les horreurs d'aujourd'hui font oublier la commémoration des horreurs centenaires !
Depuis septembre 1914 on a recours à l'exemple pour remettre au pas la troupe qui déjà grogne. La fleur au fusil est fanée depuis lurette ! Depuis les premiers jours de septembre quelques dizaines de poilus ont été fusillés par leurs potes et ce n'est qu'un début.
(Frédéric Henri Wolf débute la liste, fusillé pour l'exemple le 1er septembre 1914)
Ma très chère amie,
Ce matin, j’ai été fusillé, à sept heures trente. Mauvaise nouvelle. Nous sommes passés vingt-quatre au Conseil de Guerre hier soir et il a été retenu qu'on aurait abandonné nos postes devant l'ennemi et là c'est la peine de mort pour moi qu'ils ont tiré au sort, je ne suis pas plus coupable que les autres mais il leur fallait un exemple.
J'ai pas dormi cette nuit. Personne. J'avais pas de temps à perdre, j'avais tellement de choses à me rappeler. Il faisait froid.
Hier soir, j’ai pu écrire une dernière lettre. J’ai commencé comme ça : quand tu liras ces mots, quand cette lettre te parviendra, je serais mort, fusillé. Avec un bout de crayon qu'on m'a donné. Mon porte-plume mâchonné je l'ai perdu il y a longtemps. Je t'ai écrit mes dernières nouvelles.
Un matin comme ça, un dernier matin, je me rase pas, je m'étais dit cette nuit. J'avais pensé ça. Je me suis rasé. De prés. J'ai pris le temps même. Après j'ai bien rangé le sabre et le blaireau, je me suis coiffé. Je me disais : on aura la tête nue, je me fais une tête bien propre pour arriver devant le Bon Dieu. J'y crois pas beaucoup au Bon Dieu pourtant, Jean, il y croit, lui, et à toute son escouade de saints. Il dit que je les retrouverais ceux qui me condamnent aujourd'hui. Si ça peut l'aider.
Il y avait Jules dans le peloton qui m’encadrait, avec les baïonnettes aux canons, pour aller jusqu'aux poteaux où ils avaient réunis tous les régiments. Lecture faite des accusations, les aumôniers me disent leurs discours et même, ils m’embrassent moi, le mécréant. Après on m’attache les mains dans le dos et au poteau. On m’a bandé les yeux pour que je voie pas les copains qui me visent, pour que les copains qui me visent ne croisent pas mes yeux. Ils m’ont fait mettre à genoux, ou pas, je ne sais plus. Des fois, à ce qu'il parait, ils t’épinglent un carré de papier blanc sur le cœur, un carton comme à la fête patronale le premier dimanche d'août. On ne peut pas me rater !
Alors, l'adjudant a levé son sabre.
Là, il n'y a plus qu'à attendre qu'il l'abaisse, son putain de sabre, dans peu, dans une seconde, dans une heure, dans un siècle. C'est pour de vrai, on n'est pas dans la cour de la communale cette fois, je me dis, je vais vraiment perdre toutes mes billes. On attend qu'il gueule : feu !
Eux, nos potes, nos poteaux, (que des bleus !), tous pensent qu'ils vont tirer trop haut, au dessus de ma tête, dans la colline, dans le ciel ! Que leurs pruneaux feront le tour de la terre et viendront cueillir tous les gradés par derrière ! La belle affaire ! Ils vont tirer dans les étoiles, c'est sûr, les soixante douze fusils, et moi je vais pas en revenir et on détachera mon bandeau et tous les régiments vont partir d'un grand rire devant ma bobine pâle comme la mort et mes yeux ravagés par la peur ! La bonne blague !
J'ai pissé
Transpercé mon carton, en plein dans le mille, dans le cœur d'Émile !
Pas un mot, pas un cri.
Un sous-officier passe me donner le coup de grâce, faute de grâce, au dessus de l'oreille, le canon de son pistolet à six centimètres ! Réglementaire ! Ça fait un bruit terrible !
Je n'ai plus peur.
Le major vient constater que je suis bien mort et le greffier signe son procès verbal.
Maintenant, ils défilent, toutes les compagnies, officiers, sous-officiers, soldats, devant moi, le renversé, le couché par terre et ils pleurent, la belle affaire, atterrés eux-mêmes, et le commandant du cinquième qui ordonne à chacun de lever la tête ! Il en est un qui est tombé en pressant sa gâchette et qui est resté malade et qui disait : laissez moi je suis un assassin !
Ma montre, mon porte monnaie avec cinquante francs, mon couteau, un briquet, un caillou de chez nous, tes lettres, toutes tes lettres, en un seul paquet sur mon cœur, avec des trous dedans maintenant, j'espère qu'il te feront parvenir tout ça.
Quand même, je pensais bien éviter de périr déjà, j'avais réussi à circuler facilement entre les mitrailles jusque là.
Je me voyais revenir pour embrasser tes yeux, toucher tes seins et que ma première fois ce soit avec toi.
Je te rends la parole que tu m'as donnée de m'aimer toujours et de n'aimer que moi.
Je suis enterré ici.
La lettre du fusillé a été en partie inspirée par les derniers courriers postés par des fusillés pour l'exemple entre 1914 et 1918
Elle faisait partie du spectacle "Mauvaise nouvelle" présenté dans le Tarn en 2009 et 2010
Alain Cornuet (mise en scène) Roland Ossart (son) et Matthien Gaudeau (acteur) s'en souviennent