Ernest Daider
Collioure, square Caloni, été 1980
Le petit homme regarde mes tableaux avec attention. Il a pourtant l'air d'un pêcheur d’anchois avec son béret vissé sur sa tête, son pantalon retroussé et sa clope au coin de la bouche. Les catalans d'ici, d'habitude ne s'intéressent guère à nos aquarelles, ils n' aiment pas beaucoup les peintres, les artistes, ils marcheraient même sur nos sous-verres posées au sol en attente d'installation sur nos chevalets de campagne instables.
Comment leurs grands-parents ont-ils accueilli Matisse et Derain venus ici en 1905 inventer le Fauvisme sur la plage du Boramar et tant d'autres depuis appliqués à peindre leurs catalanes colorées aujourd'hui en cales sèches définitives ?
Le petit homme dit qu'il fait des peintures lui aussi et qu'il regarde bien parce que ça lui apprend ! Il dit n'avoir jamais essayé l'aquarelle parce que c'est très difficile, le meilleur c'est Julien Py pour l'aquarelle.
Julien Py, le vieux râleur à la tête d'aigle, je le connais bien, nous nous sommes battus en duel, au pinceau ! Il disait vouloir me donner une leçon, je lui ai tenu tête ! La leçon d'aquarelle, je l'ai prise et de belle manière ! J'ai gardé la pochade qu'il m'a dédicacée en échange de la mienne !
Le petit homme m'invite chez lui pour voir ses peintures, rue Saint Sébastien, dans les ruelles hautes de Collioure. La maison est pleine de ses œuvres : dans chaque pièce, du sol au plafond ! Il a résolu les problème de perspective, de premiers ou derniers plans de manière originale : il creuse ses personnages dans un bloc de plâtre ( le plâtre, le ciment il connaît, il vient de prendre sa retraite de maçon, il montre le tampon de meilleur ouvrier de France, il est né en 1906 et depuis le début du siècle, il en a vu passer des artistes et la couleur c'est bigrement contagieux ! ) et il les peint avec des couleurs follement gaies et une émouvante fraîcheur d'enfant ! C'est la fête à Collioure, le bal sous les platanes place de la République, on entend la sardane ! Il y a 186 danseurs ! Il raconte qu'il y a toujours un couillon qui vérifie et qui découvre qu'il en manque 2 : Ernest indique malicieusement qu'ils sont derrière le platane, bien sûr !
Sur les étagères il y a des albums avec toutes les photos de tous ses bas-reliefs, il est connu et vendu dans le monde entier, Il y a aussi les livres sur la peinture naïve, il est dans les livres, il cite de mémoire le numéro de sa page dans chacun d'eux !
Je monte souvent chez Ernest, en haut du village. Chaque fois, il fait un flan, il affirme modestement : les flans, je les fait bons ! Il descend sur le port regarder les peintres, nous discutons, il raconte sa première expo à Paris ( galerie Mazarine, place des Vosges ? ) et combien il s'est senti insulté la première fois qu'il s'est entendu qualifié de naïf ! Je fais des photos. Il ne veut pas poser pour un portrait à l'aquarelle, je travaillerais d'après mes diapos. Il tient à me donner un tableau, je trouve l'échange bien disproportionné !
Quand je reviens, au printemps suivant, mon portrait dans un carton, sous le bras, je trouve sa porte définitivement close.
Julien Py est représenté au Musée de Collioure, c'est justice. Mais sa ville à oublié Ernest Daider ! Ernest est également pratiquement introuvable sur internet qui connaît tout, qui sait tout ! Ernest est mentionné dans la collection Max Fourny au Musée d'Art Naïf de Vicq-en-Île-de-France, dans la collection Anatole Jakovsky du Musée d'Art Naïf de Nice et dans celle du Château de Gourdon au nord de Grasse, mais pas une seule bonne photo ne figure sur les pages consultées !
Aurais-je rêvé ?